jeudi 5 novembre 2009

La Grande Histoire sans fin de Nom, deuxième feuillet.

Image-résumé de l'épisode précédent :

C'est ainsi que le contenu de son estomac se déversa au pied
des chaussures en cuir noir rescemment lustrées de son frère aîné
lorsque celui-ci, impassible, lui anonça l'arrivée à la maison
d'une machine à écrire.


Georges – car tel était le nom du grand frère de Nom – n'était pas très rassurant. Rien ne le prédestinait aux noblesses de l'écriture, hormis son goût prononcé pour les haricots blancs au beurre, que l'on disait à l'époque met favori des tailleurs de costumes en lin, et des écrivains.

La petite taille de Georges, et son faible poids à la naissance, lui valurent son affreux prénom, choisi par son père en référence à une de ses lointaines connaissances qui, après s'être fait raboter les jambes par un chirurgien-dentiste, était tombé dans une profonde phase d'anorexie de laquelle il ne fut tirée que par la bienveillance quelque peu douteuse de sa jument de course qui s'appelait Pamela. Évoluant dès ses premiers jours dans la haine indicible qu'il cultivait sans relâche envers son baptiseur, le petit enfant ne pleura que deux fois : quand on lui remit son passeport, puis quand on lui refusa un changement d'identité qu'il avait pourtant supplié de toutes ses mains et de toute sa dévotion. Ainsi ne se conforma-t-il à l'éducation pénible et rigoureuse de son géniteur que pour mieux fomenter l'exil de ce dernier. Un soir, alors que l'hiver s'éternisait depuis quatre ans déjà, n'ayant jamais permis à Georges de voir autre chose que de la neige, le bambin décida, grâce à toute la précoce clairvoyance que lui avait accordé on ne sait qui – mais certainement pas Dieu – de déterrer sa flasque de Bourbon, seul cadeau de naissance qu'il eut reçu, puis d'en remplir discrètement le verre de son père déjà attablé. L'homme, aussi peu crédule qu'attentif aux maligneries d'un gamin de quatre ans, but son breuvage d'une traite, sans s'étonner de sa texture. Quelques minutes plus tard, il s'en fut, par un miracle bien orchestré, s'insérer allègrement dans sa femme aux seins déjà flasques, produisant irrémédiablement l'amas cellulaire à l'origine de Nom. C'est ce jour précis que Georges découvrit l'étendue de sa diabolique imagination, et de tous les pouvoirs qui en découlaient. Il s'évertua dès lors à passer des nuits et des jours entiers à plonger ses pieds nus et crasseux dans la mare du jardin, prétextant devoir les laver, et s'octroyant de la sorte des centaines d'heures de repos et de tranquillité tout propices à l'élaboration de nouveaux stratagèmes machiavéliques. On lui reconnaît aujourd'hui l'invention de la Farce de Maître Pathelin, de la Solution Finale et d'autres œuvres destructrices majeures comme le Krach Boursier de 2008 ou la Grippe A. Il obtînt en 2084 le Prix Nobel du Foisonnement Empirique d'Idées de Plans Diaboliques, qu'il refusa pour la bonne raison qu'il voulait celui de la Littérature – qui, je le rappelle pour mes lecteurs, n'existait plus depuis bien longtemps à cette époque, substitué en 2010 par celui du Petit Doigt de Pied le Plus Impressionnant. C'est aux côtés de la mare du jardin que Georges développa un amour inconditionnel pour les animaux, notamment pour les grenouilles dont il appréciait, selon ses dires, “la forme verte, la couleur gluante et la texture arrondie sur le dessus”. Il faisait évidemment exprès d'intervertir ainsi ses substantifs et ses adjectifs, pour, disait-il encore, “qu'ils ne s'habituent pas trop l'un à l'autre et ne me fasse des rejetons qu'il faudrait vendre, ou bien noyer”. Il s'habitua ainsi, peu à peu, aux habitudes des mots, connaissant les goûts et les fréquentations de chacun, mais aussi les maladies qu'ils étaient susceptibles d'attraper, et leur vilaine façon de toujours rester sur le bout de sa langue, au lieu de venir dans sa tête quand il le leur demandait gentillement. Il apprit à les répartir de manière équitable, voire indiscutable, sur ses feuilles de papier. Après le départ de son père, il décida d'acheter un nouvel encrier, plein d'une encre noire qui lui donnait l'impression de percer son parchemin à chaque lettre. Il n'avait alors atteint que son unième fois dix puissance un printemps, et parachevait l'éducation de son petit frère aux yeux jaunis par un foie déjà défectueux. Revenant du magasin d'encriers avec son nouveau bijou, il rencontra, au détour d'une maison de brique – dans laquelle se trouvaient trois petits cochons – une merveilleuse folâtre au corps d'albâtre, nue et coquine sous le voile de sa virginité. Celle-ci le saisit d'une telle force, et d'une telle hardiesse, et à un tel endroit, qu'il ne put empêcher l'encrier de choir. Lorsqu'il revint à la maison, l'échine toute pliée par la honte et l'incertitude à la fois, sa mère le soupçonna d'être allé fumer du tabac froid avec les petits voisins de droite, mais il lui conta son aventure avec une telle prose, et une telle précision, et d'un tel ton, qu'elle lui répondit simplement qu'il venait de subir une “masturbation”, et qu'il en avait, de la chance. Agaillardi par ce nouveau mot si riche, aux sons si variés, il conserva le petit encrier noir jusqu'à la fin de sa vie, le gardant pour les occasions, et se mit à écrire de plus en plus d'histoires en tous genres, ne se limitant ni dans le style, ni dans l'ortographe qu'il avait depuis peu appris à nier.

Le fameux jour du catalogue et de la machine à écrire, son petit frère était dans la cuisine, suspendu à la barre du rideau de douche, et s'amusait à réciter des leçons, puisqu'il ne faisait que ça, sauf quand il décidait de manger, de boire ou de dormir. Ne se souvenant plus de la maxime cent vingt-trois de La Rochefoucault, qui, pour tout vous avouer, n'a aucun intérêt, il décida de se décrocher de son perchoir afin de mieux quérir Georges, et de lui tirer un quelconque renseignement sur cette maxime cent vingt-trois, qui parlait vaguement, si son souvenir était bon, de flatterie. Nom avait remarqué à quel point les yeux de son aîné s'illuminaient quand il se mettait à réciter la cent vingt-trois, et pensait par là que Georges devait cacher une passion pour La Rochefoucault, passion explicable par le point commun qu'ils partageaient indéniablement : la laideur de leur nom. En réalité, les yeux de Georges brillaient parce que la cent vingt-trois lui rappelait les vertus de la masturbation partagée. Le benjamin était donc à la recherche de son grand frère, mais il avait beau parcourir la maison en long, large, travers, dessus, dessous, travers encore, un peu de long supplémentaire, haut, bas, droite, gauche, attention devant, il ne le trouvait pas, pour la simple raison que Georges était en train d'aller poster son bon de commande. Quand ce dernier revint en courant, haletant et suant, Nom l'accueillit avec une joie rapidement atténuée par celle, plus inquiétante, de son frère. S'en suivit l'histoire que vous connaissez déjà ; vous savez, celle du vomi. Puis, à la question existentielle et pleine d'anxiété de son petit frère, Georges répondit par l'affirmative. Se vidant à nouveau, mais sur la pompe droite cette fois-ci, Nom perdit connaissance, et on ne sut pas vraiment s'il était mort, et on ne connut pas vraiment les raisons mystérieuses de sa grapheusophobie.

2 commentaires:

  1. 'image récapitulative' HAHAHAHAHA ça fait trop snob c'est génial !

    Sinon j'aime plus celui là que le premier. je trouve ça plus facile à lire et je t'imagine clairement en train de raconter ça.
    Le style ça me fait un peu penser à leminy snicket, c'est dire la pauvreté de mes références littéraires. Enfin bref tout ça pour dire qu'il faudrait que tu ne prenne pas mes commentaires au serieux.

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  2. La culture, c'est pas que du XVIIIème siècle. J'aime autant qu'on me compare à des références de monsieur-tout-le monde :)

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