lundi 9 août 2010

La Grande Histoire sans fin de Nom, sixième feuillet.

Vous aurez remarqué que ce mois de juillet fut le premier de mon blog sans aucune publication... les vacances me tueront. En attendant, cher lecteurs ignares, voici le nouvel épisode tant attendu de votre série littéraire favorite.

Image-résumé de l'épisode précédent :

Il y a quelques siècles de cela, Baltimer avait enduit cette même chemise de sirop de glucose et l'avait faite lécher par ses trois chats, mais Nom n'en savait rien, et n'en sut jamais rien.


Le monde mort est si formidable, qu'on peut s'y ballader de partout, sans jamais se perdre, et sans que cela prenne du temps. Nom m'a raconté que cette fois-ci où il était mort, il était allé rendre visite à des hommes de l'espace. Les hommes de l'espace étaient, comme leur nom l'indique, particulièrement sympathiques, malgré leur étrange façon de se curer les oreilles trois fois par jour. On disait d'ailleurs que ce tic séculaire, comme beaucoup d'autres, devait certainement provenir des Opérations Hygiéniques Obligatoires de Sécurité (OHOS) que l'on imposait à tout colon spatial, au XIIème siècle. À cette époque, les bionistes n'existaient pas.

Les bionistes étaient les gens qui s'occupaient de la bionique. La bionique était une science essentielle, pour les hommes de l'espace, car ils jouaient au Squatch lunaire. Le Squatch lunaire était un sport d'origine rustique mais devenu fort à la mode chez les nouveaux bourgeois spatiaux : il s'agissait de lancer une balle avec sa main, puis de se couper soi-même le bras pour s'en servir de raquette et jouer au Squatch. Une fois que le premier bras avait été usé, il fallait se couper le deuxième pour avoir une nouvelle raquette, opération parfois plus difficile que la première. À la fin de chaque match, les joueurs bourgeois allaient se faire poser des bras bioniques, parce que bon, il faut bien pouvoir faire la vaisselle et tout. Les gens pauvres n'avaient pas assez de sous, et finissaient donc mandiants manchots, mais cela ne rapportait rien.

Un mort jour d'été donc, Nom jouait au Squatch lunaire, et parlait un petit peu philosophie avec les gens alentours, quand un brusque éclair effrayant vint frapper le parquet à douze centimètres de sa tête. Il faut dire que le sol était de velours mauve, ce qui était fort pratique et surtout très confortable.

On pense toujours que le monde mort est soit un paradis, soit un enfer, l'un accueillant, doux, agréable et l'autre douloureux, pénible, atroce ; c'est complètement vrai. Lorsque quelqu'un va dans le monde mort, un employé de Mondes Inc. allume une machine qui fait pile ou face et décide au hasard si ce quelqu'un ira dans le premier ou le deuxième serveur. Le premier serveur est une sorte de paradis ; le deuxième un enfer. Nom avait eu la malchance d'atterrir dans le premier serveur – il était allergique au pollen et il y avait des fleurs qui sentaient bon partout. Malgré cela, il arrivait à aller chercher son pain comme tout le monde, en étant tout de même contraint d'avaler 100mg de Cétirizine par minute.

Les complexes péripéties qui accompagnèrent Nom dans ces moments-là ne sont – hélas ! – plus là aujourd'hui pour nous conter avec exactitude ce qui arriva à Nom, juste après que l'éclair fut tombé. J'ai cependant réussi à reconstituer les faits tant bien que mal, en me servant des récits de Nom et des archives de la Bibliothèque Nationale du Mois de Juin – accéder à ces documents fut d'ailleurs une tâche fort ardue, et j'ai dû me procurer des papiers pour faire croire que je n'étais pas né en Août, sans quoi je n'aurai jamais pu rentrer ; je crois que Juin fait un complexe d'infériorité, à cause de sa ridicule petite trentaine de jours. Mais je m'égare.

La violence de l'éclair fit peur à l'organisme de Nom, qui n'aimait pas l'adrénaline mais se trouva dans l'immédiate obligation d'en brasser quelques litres, pendant quelques secondes. Il s'excusa auprès de sa conscience qui, chancelante, décida de partir d'ici, déçue par l'accueil si mauvais des Squatcheurs lunaires. Ceux-ci furent contents, car ils n'aimaient pas trop la conscience de notre bonhomme, bien qu'elle était était à cette époque réputée pour être très charmante.

Après tout cet affolement, Nom décida de quitter définitivement les hommes de l'espace, non sans quelques froides et traditionnelles accolades sexuelles d'adieu.

Puis, point encore lassé de partir de partout, il s'enfuit du monde mort, pour retrouver sa ferme natale. Sa mère était toujours là, et s'amusait à porter son ventre sur ses genoux. Son frère embêtait les poules. Mais surtout, surtout, surtout, surtout, surtout, par dessus tout, se trouvait derrière tout le monde, mais en premier plan, dans un coin d'obscurité, mais flamboyante, avec un chapeau, mais toute nue, une ravissante petite jeune fille blonde et blanche et douce du regard. Imberbe par volonté, pubère par désir, son joli petit corps un peu potelé précipita l'esprit de Nom dans la plus puissante et passionnante perdition de toute son expérience : il s'était épris.

Les jambes plus flasques que des sangsues opiomanes, il s'élança de tout son être vers la propriétaire potentielle du désir qu'il désirait, et lui demanda gentillement quel était son prénom, et s'il était à l'image de ses formes, à savoir très harmonieux et joli. Elle ne répondit pas tout de suite, pour la bonne raison qu'on ne répond jamais tout de suite à une goule rougissante aux membres menaçants de maigreur qui glapit des borborygmes douteux. Quelques minutes plus tard, elle finit simplement par lui dire : “oui”, parce qu'elle était polie et ne voulait pas lui annoncer tout de suite qu'elle ne parlait pas très bien le goule.

Vous ne pouvez pas vous figurer à quel point ce “oui” changea la vie de Nom. Vous ne pouvez pas non plus vous l'imaginer. En fait, vous ne pouvez rien en faire, puisque vous n'êtes et ne serez jamais au siège de son pauvre thalamus.

Le problème de cette jeune fille était qu'elle possédait un père. Elle l'avait acheté un jour de pluie au marché d'Entrecasteaux, et le rangeait dans une petite boîte rouge orangé, dont elle prenait le plus grand soin du monde. Ce père était juriste, et il portait sur lui un petit livre assorti à la couleur de la boîte qui racontait toutes les choses qu'il fallait savoir sur la vie et ses principes, et qui était écrit dans un langage fort rigolo. Par exemple, un matin, alors que Nom se curait les oreilles comme il l'avait apris chez les hommes de l'espace, le petit père juriste lui racontat en ces termes :

“Monsieur Nom, né Nom, fils d'un tel, domicilié ici, braviez à huit reprises consécutives et succintes, la loi prévue le neuf mai de l'an de grâce mil neuf cent et des bananes, du code civil de la bienséance collective terrestre, avec collection et répansion sur le Domaine Public d'une quantité de cérumen supérieure ou égale à douze microgrammes, grâce à l'outil index droit, en toute conscience du ou des conséquences entraînées par le geste sus-mentionné. Par la loi prévue le quatorze janvier onze cent un, la réparation financière due de fait et de droit par dommage porté à l'Etat s'élève à la somme multiplicative de cinq couronnes danoises à frais de change fixés à douze virgule cent vingt et huit pour cent plus charge additionelle régulière de un virgule deux cent vingt et quatre francs françois.”

Nom éclata de rire, puis, après quelques heures de déchiffrage assidu, donna une violente pichenette dans les pieds du juriste de poche qui prit la fuite en hurlant des mots peu chevaleresques. Ce fut le début de l'histoire d'amour parfaitement rationnel entre Nom et Nomme.