C'est un fait : je n'ai
pas trop d'amis. Il existe à vrai dire peu de gens qui
m'intéressent, et encore moins que j'intéresserais.
Pourtant, il m'arrive
souvent de sortir, car j'aime sociabiliser de la manière la plus
hypocrite, et surtout de la manière la plus temporaire possible.
Alors je me lave, je me sape un peu, et je sors dans mon quartier,
vers onze heures du soir, un vendredi ou un samedi. De temps en
temps, je croise une fenêtre éclairée à travers laquelle on
entend le fameux bruit de la fête – celui, trop fort, d'une
musique médiocre, mélangé à des piaillements tout aussi
médiocres, résultats de plusieurs discussions simultanées délayées
dans un affreux vin rouge.
Je me démerde toujours
pour entrer dans l'immeuble, et toquer à la bonne porte. C'est une
question d'habitude.
On m'ouvre, et je viens de
la part d'Hugo. Les fois où ça n'a pas marché, je les compte sur
les doigts de ma main droite.
Seulement, cette fois-là,
ça sentait les emmerdes à plein nez.
Je toque, je m'annonce
comme un bon ami d'Hugo. Là où je me suis planté, c'est que la
soirée est un peu restreinte. Par le bâillement de la porte, je
remarque une petite dizaine de personnes assises sur des fauteuils et
canapés. Bon, à tous les coups, aucun Hugo n'y boit du Martini, et
je vais devoir repartir à la recherche d'une autre soirée, après
un bref message un peu gêné de la part de l'habitante.
Là où je me plante
encore, c'est que la fille qui m'a ouvert se tourne vers ses amis, et
appelle Hugo.
« Tu m'avais pas dit
que t'invitais un pote. »
Merde.
« Un pote ? Ah,
ouais, pardon, j'ai complètement oublié de te prévenir, putain
j'suis désolé.
– T'inquiètes. »
La fille m'adresse un
sourire.
Hugo s'avance vers moi, me
sert la main en premier.
« Bah rentre voyons.
T'as trouvé facilement ? »
Je me fais un peu emporter
par la situation. Je hasarde un « salut... » pas très
engagé, en regardant les convives.
« Je vous présente
Arthur. »
Comme ça, je m'appelle
Arthur. Putain de merde, je déteste ce prénom.
« Salut. Salut. »
Il faut serrer la main à
tout le monde. Parfois, faire la bise. Et avoir l'air naturel. Je
vais me bourrer un peu la gueule et tout ira bien.
« Je suis désolé,
j'arrive les mains vides... L'épicerie était fermée.
– T'inquiète, on a tout
ce qu'il faut ici. Une bière ?
– Volontiers.
– Suis-moi, c'est dans
la cuisine. »
Hugo m'emmène dans la
cuisine, qui se trouve après un petit couloir. Pendant le bref
chemin, il me lance quelques petits « alors quoi de neuf ? »
ou « ça se passe ton boulot ? » auxquels je réponds
à peine.
En retirant une bière du
frigo, son ton change complètement.
« Alors comme ça on
se connaît.
– J'en sais rien moi, tu
me connais ?
– Non.
– Alors pourquoi tu m'as
fait rentrer ? Je m'appelle pas Arthur d'ailleurs.
– Écoute Arthur, je
t'ai fait rentrer par sympathie. Tu m'as l'air du genre de loser qui
squatte les soirées, boit la tise des autres, profite de leur
politesse et de leur hypocrisie pour se détendre tout à fait
gratuitement, et surtout, qui manque d'amis. T'as tellement une
gueule de perdant que j'ai eu pitié de toi. Mais je te connais pas.
T'es peut-être aussi un salopard qui pousse tellement loin le vice,
que tu vas repartir avec les fonds de tiroirs de ma pote, et un peu
de weed que tu auras récupéré sur la table basse. Alors tu vas
m'écouter. Je t'ai fait rentrer, donc je me porte garant de ta
sympathie. Et je veux pas avoir de problème. Alors, au moindre
écart, je serai là. »
Je sens une pointe froide
contre mon flanc. Ce fils de pute me menace avec un couteau.
Il le retire, reprend son
sourire, et va voir les autres. Je marche sur ses pas, pour éviter
tout soupçon.
Ce connard m'a donné une
chouette idée. Ça doit faire maintenant cinq ans que je squatte les
soirées de gens inconnus, avec un rythme assez soutenu. Cinq ans, et
je suis tellement con et honnête que j'ai jamais pensé à me faire
un peu de thune lors de ces aventures. Un petit billet qui traîne,
une montre, un peu de weed comme il disait. Pas grand chose, juste de
quoi me faire un petit plaisir, sans risque.
Pendant que je discute
avec Aristide, qui est bien chiant, je me convaincs de plus en plus
de piquer des trucs à ces enfoirés. Je commence à regarder mon
environnement. Je vois dix euros dans le vide-poche. Bingo. Très
accessible, discret, si je prétexte d'aller aux chiottes.
En allant dans la cuisine
chercher des bières, je trouverai peut-être un petit truc de
valeur.
Après ça, je me casse.
De toute façon, ce Hugo
n'osera pas me planter pour ça. Il a l'air assez malin pour savoir
qu'il y risquerait un tas d'emmerdes judiciaires. C'est carrément du
bluff, son histoire.
La soirée se passe assez
vite, et je repars avec une bague et un billet de dix balles dans la
poche, prétextant devoir me lever tôt le lendemain. Les gens m'ont
apparemment apprécié ; certains me font du « à bientôt
j'espère ! », « c'était sympa de te rencontrer »,
etc.
Bam, la porte se ferme, je
me taille rapidement. Je suis plutôt satisfait de moi-même. Merci
Hugo.
Me voilà presque arrivé
chez moi quand j'entends : « Arthur ! »
Le mec derrière moi,
c'est Hugo. Un couteau de 20 centimètres dans la main gauche.
« Je t'avais
prévenu, fils de pute. »
Il se dirige vers moi à
grands pas, assez vite pour me rejoindre avant que l'effet de
surprise se soit dissipé.
« Arrête, fais pas
le con, je lui dis. Tiens, je te le rends, c'est pas grand chose
t'façon. »
Je lui tends le billet. Il
me demande la bague. Cet enculé a tout vu. Je lui donne mon butin.
Ça ne semble pas du tout le calmer.
Dans les films, quand le
héros se retrouve face à un taré comme ça, il fait un peu le
philosophe et fait réfléchir le taré sur lui-même jusqu'à ce
qu'il fonde en larmes en se rendant compte que tout vient de sa mère
qui l'a abandonné dans son enfance, ou une autre connerie dans le
genre. Alors bien sûr, j'essaye d'enclencher le mécanisme.
« Pourquoi tu fais
ça, Hugo ? »
D'un rapide geste de la
main, Hugo plante son couteau dans mon cul. Les tarés ne se
raisonnent pas, ou bien c'est moi qui sait pas comment m'y prendre.
Avec une lame enfoncée
dans la fesse droite, je suis dans un vrai putain de piège. Je peux
évidemment pas courir. Je peux pas retirer le couteau, sous peine
d'hemorrhagie sévère. Je peux même pas m'assoir, merde, je peux
même pas me tordre de douleur. Alors je reste debout, devant lui, et
je l'écoute.
« Pourquoi je fais
ça ? Pourquoi ? Ha. Bonne question.
« Dans la vie, il y
a différentes façons d'occuper son temps libre. La plupart des gens
regardent la télé, ou vont faire des conneries sur internet.
D'autres ont une vraie passion, et passent leur temps libre à faire
des puzzles, fabriquer une maquette, ou aller pêcher la carpe.
D'autre encore vont boire une bière avec leurs potes. Moi, la
plupart du temps, je tue des poussins.
« Tu vois, un
poussin, c'est vraiment pas cher. Si tu les commandes en gros, tu
peux te démerder pour avoir l'unité à 50 centimes. Quand je suis
en forme, j'en tue trois, ça me suffit. Donc au pire des cas, j'en
arrive à moins de 2 euros la soirée.
« 2 pauvres euros
pour un kiff franchement génial, et parfaitement légal. Dans mon
petit atelier de torture, j'installe des tonnes de pièges fait
maison, des outils pour mort lente, d'autres pour mort rapide. J'ai
mes classiques, comme mes raretés. Et je tue ces putains de
poussins, avec toutes sortes de techniques. Je les vois mourir, et ça
me fait kiffer. Pour 2 pauvres euros. Alors que d'autres dépensent
80 balles en boîte de nuit, au même moment.
« On aime tous
torturer, tuer... malgré tout ce qu'on peut nous foutre dans le
crâne, on ressent tous un plaisir quasi sexuel à voir notre
inférieur se faire tuer de nos propres mains. C'est une évidence,
on le sait depuis longtemps. Mais on n'en profite pas. C'est une
sorte d'abstinence, non ?
« Moi, j'en profite.
J'achète des choses à tuer, sans faire chier personne. En toute
légalité. Et je les tue. Tout le monde devrait faire ça. Ca donne
du plaisir, ça soulage, ça maintient la forme intellectuelle et le
bonheur. Comme le sexe stérile, qui, lui, est rentré dans les
mœurs.
« Ce soir, tu es un
peu mon poussin. Mais je ne te tuerai pas. Tu n'es pas mon inférieur,
j'aurais donc du remors. Je vais simplement te laisser dans ta merde,
celle que tu t'es fabriquée ce soir. Je vais te souhaiter bonne
nuit, et partir, loin. En sachant que tu te souviendras de moi pour
toujours. Mais que tu me reverras jamais. »
Si, par le hasard des
choses, vous croisez un jour un jeune homme aux cheveux châtins
mi-longs, aux sourcils sévères et au rictus malsain, qui porte dans
ses bras une boîte de laquelle s'évadent une certaine quantité de
piallements... ne vous emmerdez pas, tirez à vue.
Haha tu t'es bien fais baisé sur ce coup! Ça t'apprendra!
RépondreSupprimerEt dis moi tu m'inviter à à tes soirées spéciales?
Roman